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C'est parce que leurs racines paissent le gaz
que l'ombre des marronniers est bleue.
Paul MORAND, Feuilles de température, 1920.
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C'est parce que leurs racines paissent le gaz
que l'ombre des marronniers est bleue.
Paul MORAND, Feuilles de température, 1920.
COUCHER DE SOLEIL
Voilà la dernière lumière
Bois son flot tremblant comme un nourrisson boit du lait
Ou fonds-toi en elle comme une folle se jette dans le fleuve
Après respirera le soir aux longs mouvements vers l'infini
Après les bruits retentiront plus fort et tout sera cruel sous l'électricité
Vois en elle une patrie nouvelle
- Ou la dernière patrie
Habite ici et repose-toi
Serviteur de la vie
Les heures qui viennent seront bien assez nombreuses
Pour t'accorder au jeu des étoiles
Loin de la terre tant aimée
Appelle-la ta révélation
Elle est un écho du temps
Peut-être ne l'entends-tu pas encore ?
Elle est sa pointe d'or
Toi qui renonces à souffrir
Et à courir derrière les ombres
Couche-toi pour cette fois dans la lumière du bout du jour
De ce phare éphémère qui fouille l'obscurité du corps
Qui distingue l'âme chavirée
Et frappe le cœur
Unis-toi à son souffle riche de prodiges
Comme tu t'es uni à des femmes
Joins-toi aux lueurs du soleil perdu
Qui sont les lèvres du soleil
Emmanuel MOSES, Sombre comme le temps, Gallimard 2014.
LA MER INTÉRIEURE
En chacun de nous il y a une mer
Parfois on l'entend, parfois pas
On peut la traverser, on peut s'y noyer
On peut y lancer un message dans une bouteille
Le poème est ce message qu'un autre nous-même trouvera un jour
De l'autre côté de celui qu'on est
Si un poème nous fait du bien c'est parce qu'on sait qu'il ira loin
Qu'il sera ballotté
Qu'il luttera contre des vents de travers
Mais que pour finir il vaincra
Parvenant sans encombre à son destinataire
Qui n'est autre que l'autre nous-même
Cet autre absolu
Ce même absolu
Il y a les femmes et leur corps mystérieux
Il y a la cigarette qui est souffle, feu et poudre grise
Qui est le trait d'union entre la bouche et le monde
Et nous savons que la bouche est l'embouchure de l'âme
Il y a les alcools forts au goût de baies ou de caramel
Comme ils vous écorchent et vous fendent !
Mais il y a avant tout le poème, plus mystérieux, plus incandescent, plus âpre encore
Le poème qui est notre faim, notre soif, notre nécessité et notre désir
Nous voulons nous fondre dans le corps et l'esprit de notre poème
Nous voulons inhaler et réduire en poussière brûlante notre poème
Nous voulons nous enivrer brutalement de notre poème
La mer tempêtueuse qui nous déchire
La mer docile qui nous miroite
La mer translucide où nous voyons d'insoupçonnables trésors
La mer noire comme un cauchemar qui ne finit pas
Le poème y suit son voyage
Il surnage
A-t'on jamais vu un poème faire naufrage ?
Emmanuel MOSES, Sombre comme le temps, Gallimard 2014.
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Drôle de créature que l'homme
Les jours le portent
L'espoir l'entraîne
Le chagrin le terrasse
Et il dérive ça et là
Sans plus oser porter son nom d'homme
Drôle de Dieu perdu dans son absence
Qui pourrait l'aider ?
Comment lui apprendre ?
Il vogue entre les infinis
En impuissance d'amour
Emmanuel MOSES, Sombre comme le temps, Gallimard 2014.
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Une maison, ça naît du rien de la terre
Du rien du ciel et des étoiles
Du rien des arbres
Une maison, un jour, ça sera tout
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Emmanuel MOSES, Sombre comme le temps, Gallimard, 2014
mais nous
ne faisons que suivre
des traces
nous-mêmes ne sommes
que des traces
de la vie
c'est pourquoi il nous faut tant
nous tenir pour ne pas nous perdre
tant entendre ce qu'on dit
sans savoir
tant voir ce qu'on
cotoie sans le voir et moins
on reconnaît l'invisible
plus on devient invisible
Henri MESCHONNIC, Je n'ai pas tout entendu, Dumerchez, 2000.
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Était-il paysan ? Chasseur ? Poète ?
Il observait ces traces d'un monde inatteignable
Et semblait absorbé par une pensée qui l'assombrissait
S'il était paysan, il devait songer à sa moisson gâtée
S'il était chasseur, à son gibier manqué
Et s'il était poète, à des mots cherchés vainement
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Emmanuel MOSES, Sombre comme le temps, Gallimard, 2014
nous marchons dans un jardin
sa saison
est toute en nous
les oiseaux savent
qu'ils ne doivent pas redire
nos paroles
nous sommes de la même substance
cette substance
fait notre histoire
Henri MESCHONNIC, Je n'ai pas toit entendu, Dumerchez, 2000.