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Poésie - Page 47

  • Jacques ROUBAUD et le MONDE

    pierre,visage,

     

    que faire d'un monde qu'on ne dit pas

     

    dont nul n'a su ne sait rien dire, rien

     

    pas un détail, pas une occurrence particulière accrochée à une description

     

    un monde d'une généralité si extrême

     

    que l'unique, le sans répétition, y est abrogé

     

    dès l'instant que personne ne peut comprendre

     

    dont personne dans sa bouche ne sait que faire

     

    contourner ce dire, l'expulser d'une syllabe

     

    le cracher avec dégoût

     

    un monde d'une imprécision abominable

     

    avec lequel je dois vivre

     

    à qui je dois, incessant, le regard ?

     

    Jacques ROUBAUD, La pluralité des mondes de Lewis, Gallimard, 1981

     

     

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  • Le BEAU selon Jacques ROUBAUD

    ombre,branches,

     

    ...

     

    je le savais, je m'en souviens, il faisait beau,

     

    de la beauté de l'air qui ne dit rien

     

    pose les heures dans nos mains, et s'en va.

     

    ...

     

    Jacques ROUBAUD, La pluralité des mondes de Lewis, Gallimard, 1981

     

     

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  • Marie ÉTIENNE ÉCRIT

    troncs,arbres,chiffres,

     

    ...

    On garde son carnet et son stylo ouverts.

    - Vous notez vos mémoires ?

    Écrire est ridicule. Si on écrit on fait ses comptes, ceux du marché, du mois.

    Mais pas ceux de sa vie.

    On continue quand même à aligner ses chiffres, c'est-à-dire ses lettres.

    On paraît moins vivant, on s'enfonce loin d'eux, qui sont dehors, à la surface, qui tiennent le bon bout de cette suite d'actes.

    On extrait des fragments d'une suite, au hasard.

    En vérité pas au hasard.

    On les dispose, on les essaie, on les attache.

    Jusqu'à ce qu'à son tour on tienne le bon bout.

    Jusqu'à ce qu'à leur tour ils tiennent bien ensemble.

     

    Marie ÉTIENNE, Roi des cent cavaliers, Flammarion, 2002.

     

     

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  • Mahmoud DARWICH sous son ÉTOILE

    toile,tente,

     

    ...

    d'une pluie, nous avons construit notre baraque, si le vent ne court pas, nous ne courons pas, comme un clou planté dans l'argile, le vent creuse notre cave, nous nous serrons ainsi que des fourmis dans la petite cave

    comme si nous chantions subrepticement :

    Beyrouth est notre tente

    Beyrouth est notre étoile

    ...

     

    Mahmoud DARWICH, Rien qu'une autre année, Editions de minuit, Trad. A.Laâbi, 1983

     

     

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  • Ludovic JANVIER : RIVIÈRE et SOLILOQUE

    rivière,barque,

     

    On se fait chier, au long des rivières. Les soliloques. Celui du marcheur qui longe l'eau, celui de la rivière inscrite là pour bouger sans bouger, image de l'éternel et de l'irréversible, cliché du destin jusqu'à l'insupportable. Aucune raison d'espérer face à la rivière et au long d'elle, c'est tout le contraire. Et pourtant son frayage accompagne l'aveu, emporte la rage, ouvre sur le futur, incite à une espèce d'abandon : "Des petits enfants étouffent des malédictions le long des rivières" (C'est du cher Arthur).

     

    Ludovic JANVIER, Des rivières plein la voix, L'arbalète Gallimard, 2004.

     

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  • Ludovic JANVIER : RIVIÈRE et RÊVERIE

    rivière,bleu,

     

    Ramuz écrit que la pensée remonte les fleuves. Qui les descend, c'est la rêverie.

    Sans doute quelque part un gourmand de rivière et de langue aura-t-il déjà dit que rivière et rêverie (presque anagramme et mieux qu'anagramme) sont comme les deux faces opposées d'un bruit semblable et qu'on aurait accolées pour jouer avec. Mises en regard pour se laisser descendre au fil du rêve.

     

    Ludovic JANVIER, Des rivières plein la voix, L'arbalète Gallimard, 2004.

     

     

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  • Jean-Pierre LEMAIRE : DÉJÀ l'ÉTÉ

    ombre,pénombre

     

    Accroupie sur le seuil et nous tournant le dos

    tu lèves le nez vers les acacias

    pour parler aux oiseaux ; nous, de la pénombre

    nous tâchons de suivre la conversation

    vive, sensée, intraduisible

    où tu leur racontes en langue indigène

    tout ce que les parents ne peuvent entendre

    depuis qu'ils sont sortis du ciel en grandissant

     

    Jean-Pierre LEMAIRE, Le pays derrière les larmes, Poésie-Gallimard, 2016.

     

     

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  • Jean-Pierre LEMAIRE : DÉJÀ l'ÉTÉ

    rouge,puzzle,

     

    L'énigme de l'été toujours insoluble :

    le puzzle au complet ou presque, les montagnes

    exactement emboîtées dans le ciel

    comme le coin des toits, les prés sous les sapins

    - et nous en dehors. Nous attendons les pluies

    l'automne qui bientôt mélangera les pièces

    pour recommencer, cherchant notre place

    dans le vague dessin de l'année future

    d'où notre ombre s'absente avec le soleil.

     

    Jean-Pierre LEMAIRE, Le pays derrière les larmes, Poésie-Gallimard, 2016.

     

     

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