Fissures intérieures,
fentes par où filtre goutte à goutte
le liquide épais et oppressant
de cette profonde invasion
que nous appelons prière.
...
Roberto JUARROZ, Dixième poésie verticale, Trad. F.M.Durazzo, Corti, 2012
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Fissures intérieures,
fentes par où filtre goutte à goutte
le liquide épais et oppressant
de cette profonde invasion
que nous appelons prière.
...
Roberto JUARROZ, Dixième poésie verticale, Trad. F.M.Durazzo, Corti, 2012
Pangmur le blanc et moi
avons chacun notre métier
son esprit pense à sa chasse
et moi je pense à la mienne
Je préfère à toute gloire la paix
de mon livre, chant du savoir
et lui qui ne m'envie jamais
aime son métier enfantin
Parfois après une lutte terrible
une souris tombe en son pouvoir
et moi je prends dans mon filet
un mot difficile à comprendre
Même si notre labeur est long
nous ne nous dérangeons jamais
car chacun aime son travail
et chacun en profite seul
Le travail qu'il accomplit chaque jour
est celui pour lequel il est fait
et moi je suis préparé au mien :
mener l'obscur à la lumière
Jacques ROUBAUD, Dors, Gallimard, 1981
On n'écrit plus de poésie, un bric-à-brac de vieux droguiste.
Quel crédit accorder aux mots qui se succèdent, comment les croire encore possibles ?
Luttant contre le rythme pair, on ne tient plus sa main portée contre son coeur : le genre noble a la nausée.
On balade ses mots, on les décroche, on les espace, on les efface.
On les dispose comme on peint, comme on dessine ou comme on brode, au point de croix.
On fait de petits tas, sans ponctuation, "mendiant presque d'écrire".
...
Marie ÉTIENNE, Roi des cent cavaliers, Flammarion, 2002.
que faire d'un monde qu'on ne dit pas
dont nul n'a su ne sait rien dire, rien
pas un détail, pas une occurrence particulière accrochée à une description
un monde d'une généralité si extrême
que l'unique, le sans répétition, y est abrogé
dès l'instant que personne ne peut comprendre
dont personne dans sa bouche ne sait que faire
contourner ce dire, l'expulser d'une syllabe
le cracher avec dégoût
un monde d'une imprécision abominable
avec lequel je dois vivre
à qui je dois, incessant, le regard ?
Jacques ROUBAUD, La pluralité des mondes de Lewis, Gallimard, 1981
...
je le savais, je m'en souviens, il faisait beau,
de la beauté de l'air qui ne dit rien
pose les heures dans nos mains, et s'en va.
...
Jacques ROUBAUD, La pluralité des mondes de Lewis, Gallimard, 1981
...
On garde son carnet et son stylo ouverts.
- Vous notez vos mémoires ?
Écrire est ridicule. Si on écrit on fait ses comptes, ceux du marché, du mois.
Mais pas ceux de sa vie.
On continue quand même à aligner ses chiffres, c'est-à-dire ses lettres.
On paraît moins vivant, on s'enfonce loin d'eux, qui sont dehors, à la surface, qui tiennent le bon bout de cette suite d'actes.
On extrait des fragments d'une suite, au hasard.
En vérité pas au hasard.
On les dispose, on les essaie, on les attache.
Jusqu'à ce qu'à son tour on tienne le bon bout.
Jusqu'à ce qu'à leur tour ils tiennent bien ensemble.
Marie ÉTIENNE, Roi des cent cavaliers, Flammarion, 2002.
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d'une pluie, nous avons construit notre baraque, si le vent ne court pas, nous ne courons pas, comme un clou planté dans l'argile, le vent creuse notre cave, nous nous serrons ainsi que des fourmis dans la petite cave
comme si nous chantions subrepticement :
Beyrouth est notre tente
Beyrouth est notre étoile
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Mahmoud DARWICH, Rien qu'une autre année, Editions de minuit, Trad. A.Laâbi, 1983
On se fait chier, au long des rivières. Les soliloques. Celui du marcheur qui longe l'eau, celui de la rivière inscrite là pour bouger sans bouger, image de l'éternel et de l'irréversible, cliché du destin jusqu'à l'insupportable. Aucune raison d'espérer face à la rivière et au long d'elle, c'est tout le contraire. Et pourtant son frayage accompagne l'aveu, emporte la rage, ouvre sur le futur, incite à une espèce d'abandon : "Des petits enfants étouffent des malédictions le long des rivières" (C'est du cher Arthur).
Ludovic JANVIER, Des rivières plein la voix, L'arbalète Gallimard, 2004.