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Poésie - Page 59

  • Louis ARAGON : à d'AUTRES le PRINTEMPS

     

     

    Maintenant que la jeunesse

    S'éteint au carreau bleui

    Maintenant que la jeunesse

    Machinale m'a trahi

    Maintenant que la jeunesse

    Tu t'en souviens souviens-t-en

    Maintenant que la jeunesse

    Chante à d'autres le printemps

    Maintenant que la jeunesse

    Détourne ses yeux lilas

    Maintenant que la jeunesse

    N'est plus ici n'est plus là

    Maintenant que la jeunesse

    Sur d'autres chemins légers

    Maintenant que la jeunesse

    Suit un nuage étranger

    Maintenant que la jeunesse

    A fui voleur généreux

    Me laissant mon droit d'aînesse

    Et l'argent de mes cheveux

    Il fait beau à n'y pas croire

    Il fait beau comme jamais

    Quel temps quel temps sans mémoire

    On ne sait plus comment voir

    Ni se lever ni s'asseoir

    Il fait beau comme jamais

    C'est un temps contre nature

    Comme le ciel des peintures

    Comme l'oubli des tortures

    Il fait beau comme jamais

    Frais comme l'eau sous la rame

    Un temps fort comme une femme

    Un temps à damner son âme

    Il fait beau comme jamais

    Un temps à rire et courir

    Un temps à ne pas mourir

    Un temps à craindre le pire

    Il fait beau comme jamais

     

    Louis ARAGON

     

     

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  • Gerrit KOUWENAAR TROP HOMME

    cage,

     

     

    LE LANGAGE

    Le langage appartient aux oiseaux
    Je suis trop homme pour voler
    Je reste là comme une maison sur le monde
    Et bâtie de terre épaisse

    Je suis à peu près celui
    Qu’abrite l’intérieur des murs
    Et qui coule derrière les fenêtres
    De la petite chambre bleue

    Elle sent l’amour et l’engrais
    Il y a une plante dans une cage
    Le langage appartient aux oiseaux
    L’homme s’abrite dans les mots.



    Gerrit KOUWENAAR, Action Poétique n° 91, mars 1983.

     

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  • Le TEMPS ROGNE Ossip MANDELSTAM

    arbres,

     

    Le froid chatouille mon crâne,

    Et comment l'avouerait-on -

    Moi aussi le temps me rogne,

    Comme il ronge ton talon.

     

    La vie se vainc elle-même,

    Et le son fond peu à peu ;

    Quelque chose manque à l'appel,

    Se souvenir est fastidieux.

     

    Pourtant c'était mieux naguère,

    Comparer n'est pas permis

    Comme le sang bruissait hier

    Et comme il bruit aujourd'hui.

     

    Sans doute n'est-ce pas sans risque

    Que ces lèvres-là remuent :

    L'arbre murmure et s'agite,

    Bien qu'il doive être abattu.

     

     

    1922

     

    Ossip MANDELSTAM, Le Deuxième Livre (1916-1925), Circé 2002, trad. Henri ABRIL.

     

     

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  • Alain FRONTIER en CHAIR et en OS

    dos,colonne vertébrale,

     

    Depuis longtemps déjà, l'auteur de ce texte est en train de mourir. L'auteur de ce texte connaît tous les organes qui, par leurs actions combinées, le maintiennent depuis longtemps déjà dans cette position d'attente. Il sait qu'il porte en lui cette dislocation presque soudaine qui (à la faveur d'une réaction en chaîne étonnamment rapide) lui fera perdre un jour sa verticalité, et le fera s'affaisser sur lui-même, et fera se disjoindre les parties de l'ensemble. Il sait qu'il est traversé de haut en bas par une colonne osseuse qui maintient les parties molles de son corps et l'empêche de s'affaisser. Toutefois quelques uns des segments qui la composent sont l'objet d'une érosion lente et continue, laquelle finit par occasionner d'irréversibles déboîtements, la masse qu'elle a pour fonction de maintenir est le siège d'une infinité de douleurs, piqûres d'aiguilles, tranchées, crampes, élancements soudains, le plus souvent très supportables, qui contribuent encore à dénoncer l'espace dans lequel elle est inscrite.

    ...

     

    Alain FRONTIER, L'inventaire des choses, une anthologie internationale de poésie contemporaine, Action poétique 2007.

     

     

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  • Frédéric FORTE DANS le DÉCOR

    voile,

     

    et si le mystérieux recèle / le moindre attrait / le moindre attrait / est dans le voile // de toi que je voudrais lever / lentement si possible / prenant le temps pour cible / et jamais achevé // envisager de loin / le point / de ton corps // ne pas faire moins / être le témoin / le décor

     

    Frédéric FORTE, Cinq sonnets à plat, L'inventaire des choses, une anthologie internationale de poésie contemporaine, Action poétique 2007.

     

     

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  • CHRISTIAN DOTREMONT PREND LA FOUDRE

    neige,glace,

     

    D'UN COUP DE FOUDRE

     

    d'un coup de foudre

    les glaces fondent

    en neiges fortes

    comme du feu

    en quatre cents

    et plus encore

    que quatre mille

    coups de folie

    qui chaque fois

    lient et délient

    pour d'autres liens

    souffle d'ici

    soleil de là

    air d'aujourd'hui

     

     

    Christian DOTREMONT, 1977, Œuvres poétiques complètes, Mercure de France, 1998

     

     

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  • CHRISTIAN DOTREMONT : IMPÉRATIF PRÉSENT

    cadran solaire,jours,

     

    ... ne devrions-nous pas avoir de l'imagination aussi dans la réalisation du présent ?

     

    Christian DOTREMONT, 1972, Œuvres poétiques complètes, Mercure de France, 1998

     

     

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  • La RÈGLE DU JEU selon Christian DOTREMONT

    cartes,jeu,règles,

     

    LES JEUX ET LES RIS

     

    La gallimarde se joue à la vente.

    Les hostiles sont d'élite et se placent à la caisse, une thora en bandoule.

    Le paulhan d'as vaut dix points.

    La queninte d'atout vaut quatre points (et demi).

    La gidolle de quarte, dite* aussi nobelle, vaut un point.

     

    La curée se joue à la grand-guignolle.

    Le commissaire distribue les hosties aux commissionnaires.

    Celui qui a le plus d'hosties a droit au hamac de première.

     

    La surrénale se joue en lieu-commun.

    Est dit grand-surrénal qui a le plus de mow avec le moins de pliw.

     

    La bloumisse est réservée aux intellèques.

    Il s'agit de jongler avec des boulettes de bourre peintes en rose vif.

    Le victorien est celui qui avale toutes les boulettes.

    Il est sacré lèche-gaulle.

     

    La troumaniaque se joue en banque anti-russe.

    La bombatte vaut dix points.

     

    Le véto moral est reservé aux possesseurs de bombatte.

     

    La coloniale se joue à la grosse.

    Un noir vaut un quart de point.

    Dix jaunes valent un noir.

    Une grosse est d'un million de points.

    Le tueur qui lève dix grosses est mis en statue.

     

    La belgeambe se fait** du côté sinistre.

    Les plis se disent pluie.

    Il s'agit de prendre un tramignoul par dix degrés sous zéro.

     

    Christian DOTREMONT, 1948, Œuvres poétiques complètes, Mercure de France, 1998

     

     

    * le texte dit "dit"

    ** le texte dit "faire"

     

    Ce manque de rigueur nous semble préjudiciable à l'équilibre du jeu.

     

     

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