Élève tes mots, pas ta voix.
C'est la pluie qui fait grandir les fleurs, pas le tonnerre.
Djalâl-od-Din Rûmî, Mathnawî - la Quête de l’Absolu, Trad. Eva de Vitray-Meyerovitch, Le Rocher, 2014.
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Élève tes mots, pas ta voix.
C'est la pluie qui fait grandir les fleurs, pas le tonnerre.
Djalâl-od-Din Rûmî, Mathnawî - la Quête de l’Absolu, Trad. Eva de Vitray-Meyerovitch, Le Rocher, 2014.
Zoologie : les chats
À Madrid, les chats
se cachent dans les murs ;
et le lierre recouvre
leur dos
comme si c'étaient des rois !
Nuno JÚDICE, Un chant dans l'épaisseur du temps, Trad. Michel Chandeigne, Gallimard 1996.
...
Ils ne chantent pas. Ne volent pas. Ne parlent pas.
Ce sont des oiseaux aveugles
avec le mutisme des oracles et muets
avec la lucidité des prophètes.
...
Nuno JÚDICE, Un chant dans l'épaisseur du temps, Trad. Michel Chandeigne, Gallimard 1996.
La poésie aime à dire qu’elle résiste à l’impérialisme de l’économique, puisque
nul n’ose plus dire qu’il résiste à l’économie de l’impérialisme,
mais si ce vœu de pauvreté, qui fait doucement marrer l’économat,
la cantonne dans le commerce éthéré franciscain avec les piafs ou les « lumpen-volatiles » que sont les pigeons de ville selon Italo Calvino
ou d’ailleurs avec les seuls aigles des altitudes philosophiques, je défroque tout
de suite, d’ailleurs, c’est fait.
...
Jacques JOUET, Action Poétique n° 147, été 1997.
Au coeur des mots poésie, poète et poème, comme au coeur aussi d’ailleurs du mot
théâtre,
il y a un hiatus « ohé ! » ou « ohè » où la bouche bée son vide en crachant
du plein.
Donc le mot ressemble assez à ce que je cherche à lui faire dire,
encore que le vomissement des deux voyelles enchaînées poaaaîîîme
puisse n’échapper pas à quelque ridicule, comme Antoine Vitez affectionnait de
dégueuler le théââââtre
en s’en gargarisant avec exagération.
...
Jacques JOUET, Action Poétique n° 147, été 1997.
Des mots pour nous
Même avec nos jours tachés d’un peu de soleil
nos gestes ressemblent encore
à ceux des réfugiés.
Les yeux affamés
la bouche desséchée
ça nous va toujours bien.
Au loin
dans le ciel
toutes ces illusions d’arsenaux s’écroulent
mais celles de la ville future
s’écroulent aussi
et il apparaît une silhouette
sur du papier brûlé.
Nous ne sommes pas encore habitués
à saluer des morts
nous ne savons pas encore apprécier
la terreur
nous ne savons pas mesurer
combien d’espace nos mots soutiennent.
Notre mémoire se lie à des objets brisés
et nos mots ne recueillent que brisure et débris.
TO Kazuko, Action poétique n° 25, octobre 1964.
...
Tout dans la maison respirait l’aisance, le charme, la santé, la paix, la lumière. La respectabilité rayonnait. Je me frottai les yeux pour mieux y croire. C’était vraiment la famille dans toutes ses féeries blanches. Le capitaine de ce bord lumineux était juge de son métier. Il fut le premier à s’apercevoir de mon arrivée. Une vague géante de bile se mit aussitôt en mouvement dans la vie de ce Juste d’Alabama. Et la table entière commença à tanguer vers moi. Mais pas un seul globule rouge ne vacilla dans mon corps. J’étais un rocher dominant de très haut ce tumulte blanc.
Ils étaient tous là :
Le-fils-cadet-de-West-Point
Le-fils-qui-broutait-les-mirages-de-Yale-University
Le-fils-futur-sénateur-républicain-de-l’Alabama
Le-fils-futur-ambassadeur-à-Panama
Le-fils-qui-restera-à-la-maison-pour-veiller-sur-les-meubles de-l’idiotie-familiale
...
René DEPESTRE, Un arc-en-ciel pour l’occident chrétien, poème-mystère-vodou, Action Poétique n° 32-33, 1967.
RITUEL VII
C’est quoi qui vient s’asseoir ici et anonyme
dans le métro et
rend notre œil inapte à
tout autre usage pendant
des heures ? Aujourd’hui c’est la Méditer-
ranée orientale, elle
s’assoit juste là, complexion
mate, précise
et légère courbe du nez, la
bouche bouton de rose d’une princesse perse, mais dé-
jà lèvres trop pleines
en haut et
en bas et peut-être la seule, la drôle, la grande
putain de Port Saïd ou de Babylone qui professorale s’assoit
ici maîtrisant le crayon à paupière, l’om-
bre parfaite, une
autre ombre se promenant sous les pommettes quand elle se
tourne pour voir le numéro ou le nom
de la station, la courbe précise, des yeux perses
arabes, afghans, indiens, pakistanais, libanais
noirs, noirs, égyptiens, mésopotamiens, bouche pâle, pâle
Elle descend à Union
Square et demande
à une vieille et gaillarde Irlandaise
la direction de la correspondance
Un dernier regard
le métro démarre lentement, trop
lentement, elle reste là,
jambes écartées sous un manteau noir de fausse fourrure, elle
reste juste là, sans fin, ne choisissant
ni une direction ni l’autre, reste
là sur le quai d’Union Square
toute l’histoire de la Méditerranée orientale entre les cuisses
réfléchissant
Paul BLACKBURN, Acton Poétique n° 203, mars 2011.