Lecture silencieuse
livre bien ouvert
tenu des deux mains
que lisent dans le sens de la marche
des hommes et des femmes
déjà presbytes
de temps en temps
un coup d'oeil furtif
sur la première page de couverture
du volume du voisin de passage
le titre est happé
comme une nourriture
d'urgence
Généalogie du hasard, Le Dé bleu, 1986.
Poésie - Page 95
-
Michel MERLEN dans L'MÉTRO
-
Nora BOSSONG FACE à son PÈRE
Derrière les montagnes
Derrière les montagnes
mon père chantait la chanson
du cygne mourant,
du moulin qui fait tic-tac,
et aussi de la mine.
Il avait sur la langue
l'haleine du buveur,
son coup de cil cliquetait comme
un verre d'eau-de-vie sur la pierre.
La mine, c'était sa bouche,
et le moulin faisait tic-tac
dans son larynx
et le cygne se mourait déjà
dans ses poumons.
Il aimait chanter, mon père.
Sa voix résonnait loin sur la plaine.
Nora BOSSONG, Décharge n°142, Trad. Rüdiger FISCHER).
Que ce soit par sa bonté, son haleine, son absence, sa rigueur, ses coups, un père marque toujours.
-
Jacques ANCET : LONG sur l'ÉTÉ
Jacques ANCET raconte en vingt-quatre poèmes « Vingt-quatre heures, l'été » (Ed.Lettres vives, 2000).
Ceux pour qui les vacances sont un moyen de porter attention à ce qui flotte dans l'air de l'été en retrouveront peut-être ici un bon parfum :
Vingt-deux heures
Dix heures. Les chiens aboient
comme si on entendait
l'envers brutal du silence.
Comme si montait de la terre
une violence de voix
acharnée à mettre en pièces
le calme à peine conquis
des la nuit. De temps à autre
ils se taisent et c'est, sans fin,
un clignotement muet,
un bourdonnement de bouches,
quelque chose comme des
lèvres entrouvertes, des mots
sans suite qui s'éparpillent.
Et puis les cris recommencent.
Ils disent l'heure des dents,
la salive, la brûlure,
le noir qui s'est mis à luire,
une obscure transaction
de racines et de ténèbres,
l'invisible connivence
de l'étoile et du charbon.
-
Michel MERLEN sur le DOS
Le conseil est peut-être un peu sec pour ceux qui reprennent le travail ces jours-ci...
ne laisse pas ta peau
sécher comme un edelweiss
sous l'édredon des bureaux
ça suffit
de marcher pour rien
dans l'incendie du quotidien
Michel MERLEN, Généalogie du hasard, Le Dé bleu, 1986.
-
Pentcho SLAVEÏKOV : un ART de l'ÉPITAPHE
Décharge n°142 présente le poète Bulgare Pentcho SLAVEÏKOV.
Entre autres, car l'homme était érudit et prolifique, il a publié des épitaphes, considérées comme des œuvres poétiques :
Ravaudeur, poivrot, sans enfant,
il s'appelait Stanyo Patience -
sa vie loqueteuse, c'est la mort
qui l'a reprisée proprement.
(trad. Denitza BANTCHEVA)
-
Nora BOSSONG face au DINDON
DÉMÉNAGEMENT
Le dernier jour je fermai le gaz.
Je ne mangeai plus que du dindon froid,
cassai des deux mains les os sternaux
en forme de fronde, on dit que cela porte bonheur,
je fermai les yeux
et n'entendis plus que les craquements
des os refroidis qui,
si minces et poreux,
n'auraient pu rien protéger,
pas même le coeur
d'un dindon froid
cuit plusieurs jours avant.
Nora BOSSONG (Décharge n°142, trad. de l'allemand Rüdiger FISHER)
Ce peut être aussi le sentiment de qui quitte son lieu de vacances...
-
L'IDÉE REÇUE, Roger LAHU !
"c'est tout un poème"
oh oui
la vie
c'est tout un poème
très irrégulier
et de ces césures
à vous fendre
en deux tronçons
sanguinolents
sans rime sans raison
et les traîtrises
des jours
qui vous enfoncent leurs poignards
dans le dos pour signer l'oeuvre
Roger LAHU, Comme on dit, N4728 n°16.
Outre l'inanité de l'expression, Roger LAHU montre ici que le poème, comme toutes les autres manifestations de la vie, n'est pas forcément là pour faire joli.
Il est toujours bon de tordre le cou à cette idée coriace.
-
La LANGUE : Roger LAHU (à l'USURE)
Roger LAHU pointe des expressions toutes faites, et se révolte doucement contre leur absurdité. N4728 n°16 en rassemble quelques spécimens sous le titre "Comme on dit" :
"mets-y un peu du tien"
du mien ?
que voulez-vous
que j'abandonne
un organe
un membre
une pensée fugitive ?
et au pied de quelle pieta
déposer
ce don ?
à quel mur
accrocher
ces pitoyables et sanguinolents
ex-voto ?