En général, le premier vers m'est donné, c'est le la du poème qui va suivre ou se perdre. C'est lui qui impose la tonalité du morceau, morceau que je ne quitterai qu'après le dernier coup d'archet.
Guy GOFETTE, dans Décharge n°143.
Poésie - Page 97
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Le MOULE à GOFETTE
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RÉGIS ROUX : TOUJOURS LABOUR
La neige n'y est pas encore, mais nous voici à la saison des labours...
Guetteur
Dieu des labours
Un corbeau prend la mesure
La plus incorrigible
Soulève
Le masque de la neige
Débusque la promesse du grain
Régis ROUX, Questions posées au paysage, Le Dé Bleu, 1998.
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Gaston PUEL au PIED des MÛRES
Pacte
Là-bas sur les remparts ruisselle la foudre
Ici autour de nos vivres l'âme suffoque
Partir ? Ici aussi la mâture chancelle
Mon pacte est un roncier
Je suis balafre
(le vent la ravive ou l'apaise)
Ainsi j'ai signé
La donation est ouverte :
Le sang des mûres aux oiseaux
Le mien à l'oubli.
in Terre-plein, Thierry Bouchard éd.
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Gaston PUEL : Y A PLUS de PAYSANS
Aujourd'hui, brusquant l'adieu, les moissonneurs créditent, empruntent, amortissent. Ils souffleraient au cul de la terre pour activer les saisons !
Sont-ils riches ? Ils n'ont même pas un grillon pour l'hiver ; pas un grain de raisin pour le mourant de septembre.Extrait de Les Moissonneurs, in Terre-plein, Thierry Bouchard éd.
Ce n'est peut-être pas au point de mourir dès ce septembre, mais le raisin d'ici s'annonce fort bon.
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Michel MERLEN dans L'MÉTRO
Lecture silencieuse
livre bien ouvert
tenu des deux mains
que lisent dans le sens de la marche
des hommes et des femmes
déjà presbytes
de temps en temps
un coup d'oeil furtif
sur la première page de couverture
du volume du voisin de passage
le titre est happé
comme une nourriture
d'urgence
Généalogie du hasard, Le Dé bleu, 1986.
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Nora BOSSONG FACE à son PÈRE
Derrière les montagnes
Derrière les montagnes
mon père chantait la chanson
du cygne mourant,
du moulin qui fait tic-tac,
et aussi de la mine.
Il avait sur la langue
l'haleine du buveur,
son coup de cil cliquetait comme
un verre d'eau-de-vie sur la pierre.
La mine, c'était sa bouche,
et le moulin faisait tic-tac
dans son larynx
et le cygne se mourait déjà
dans ses poumons.
Il aimait chanter, mon père.
Sa voix résonnait loin sur la plaine.
Nora BOSSONG, Décharge n°142, Trad. Rüdiger FISCHER).
Que ce soit par sa bonté, son haleine, son absence, sa rigueur, ses coups, un père marque toujours.
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Jacques ANCET : LONG sur l'ÉTÉ
Jacques ANCET raconte en vingt-quatre poèmes « Vingt-quatre heures, l'été » (Ed.Lettres vives, 2000).
Ceux pour qui les vacances sont un moyen de porter attention à ce qui flotte dans l'air de l'été en retrouveront peut-être ici un bon parfum :
Vingt-deux heures
Dix heures. Les chiens aboient
comme si on entendait
l'envers brutal du silence.
Comme si montait de la terre
une violence de voix
acharnée à mettre en pièces
le calme à peine conquis
des la nuit. De temps à autre
ils se taisent et c'est, sans fin,
un clignotement muet,
un bourdonnement de bouches,
quelque chose comme des
lèvres entrouvertes, des mots
sans suite qui s'éparpillent.
Et puis les cris recommencent.
Ils disent l'heure des dents,
la salive, la brûlure,
le noir qui s'est mis à luire,
une obscure transaction
de racines et de ténèbres,
l'invisible connivence
de l'étoile et du charbon.
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Michel MERLEN sur le DOS
Le conseil est peut-être un peu sec pour ceux qui reprennent le travail ces jours-ci...
ne laisse pas ta peau
sécher comme un edelweiss
sous l'édredon des bureaux
ça suffit
de marcher pour rien
dans l'incendie du quotidien
Michel MERLEN, Généalogie du hasard, Le Dé bleu, 1986.