Comme gravées sur la pierre au coin de la sagesse
ils inventèrent des lettres, carrées comme posées aux jours de la Création
pour croître et multiplier, errer, pour déchiffrer tout l'univers
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Comme gravées sur la pierre au coin de la sagesse
ils inventèrent des lettres, carrées comme posées aux jours de la Création
pour croître et multiplier, errer, pour déchiffrer tout l'univers
Qui donne le meilleur conseil ? celui aux jambes bien campées au sol ou celui aux cheveux inspirés par le vent ?
ou le sage qui s'efforce de leur être parallèle (chênes, frênes, figuiers et bouleaux) ?
Et le conseil, blessant de ses rugosités, est-il vraiment de cette chair, blanche et nourrie de sève ?
RITUEL VII
C’est quoi qui vient s’asseoir ici et anonyme
dans le métro et
rend notre œil inapte à
tout autre usage pendant
des heures ? Aujourd’hui c’est la Méditer-
ranée orientale, elle
s’assoit juste là, complexion
mate, précise
et légère courbe du nez, la
bouche bouton de rose d’une princesse perse, mais dé-
jà lèvres trop pleines
en haut et
en bas et peut-être la seule, la drôle, la grande
putain de Port Saïd ou de Babylone qui professorale s’assoit
ici maîtrisant le crayon à paupière, l’om-
bre parfaite, une
autre ombre se promenant sous les pommettes quand elle se
tourne pour voir le numéro ou le nom
de la station, la courbe précise, des yeux perses
arabes, afghans, indiens, pakistanais, libanais
noirs, noirs, égyptiens, mésopotamiens, bouche pâle, pâle
Elle descend à Union
Square et demande
à une vieille et gaillarde Irlandaise
la direction de la correspondance
Un dernier regard
le métro démarre lentement, trop
lentement, elle reste là,
jambes écartées sous un manteau noir de fausse fourrure, elle
reste juste là, sans fin, ne choisissant
ni une direction ni l’autre, reste
là sur le quai d’Union Square
toute l’histoire de la Méditerranée orientale entre les cuisses
réfléchissant
Paul BLACKBURN, Acton Poétique n° 203, mars 2011.
J'ai huit ans et il me semble que toute la population du pays, hommes, femmes, enfants, vieillards est sur les routes. Des enfants surtout, des enfants dont personne n'écoute les questions, qu'on bouscule et qui ont des grands yeux ahuris, vides de fatigue et de faim. Des femmes enceintes avec des nourrissons sur les bras, en marche ou assises, éreintées, hagardes. Des coups de fusils, des salves de mitraillettes, des explosions dans la nuit, sur les visages, la lumière inquiète d'un incendie. Ces routes n'ont pas l'air d'avoir de fin, d'aboutir quelque part. Ces colonnes de gens, de charrettes en désordre, je n'en vois pas le bout.
Lorand GASPAR, Égée Judée, Poésie-Gallimard,1980.
Un jour, sans transition, son regard accroché par les étoiles encore pâles : "Tu me dis que ce sont des boules de feu très loin de nous, comme ça, lâchées dans le ciel. Tu te moques de qui ? Allah n'est pas un farceur, il a bien trouvé le moyen de les attacher quelque part."
Lorand GASPAR, Égée Judée, Poésie-Gallimard,1980.
Insaisissable
La parure changeante
à la manière d'un prince
proche et lointain
à la mesure d'un dieu
Aux questions
toujours les mêmes silences
et pourtant les hommes
toujours regardent le ciel
Certes on donne des réponses, mais ce sont des vœux pour les étoiles, des bouteilles pour les flots
C'est de questions qu'il faudrait faire le don, comme de graines à la fenêtre, cailloux pour le chemin
Voici, me dit-il, le mortel cerné de toutes parts,
enserré dans les fils de sa langue, son trépas.
Entends sa musique discordante, la bouillie sonore de sa bouche.
Vois comme est insensé son dire, en désaccord flagrant avec le sens de son faire, le destin qui le porte.
Aveugle sous la peau de lumière posée.
Regarde la bête solitaire, foulant les jardins,
alourdie de fatigue, exsangue, frappée en plein regard.
Déracinée, Désertée, Brisée -
Plaies et pleurs et grincements de dents.
Lueur qu'éventra la lame sur l'eau grise.
Parole sous la parole, en mèche de fouet.
Tranquillement elle charrie l'irrévocable venin,
Tranquillement elle dépèce l'incroyable, le clair, te livrant à ton obscurité -
et qui t'entendra dans les hennissements du jour,
du joyeux jour aux blancs poulains ?
Lorand GASPAR, Égée Judée, Poésie-Gallimard,1980.