
vérité
figée
vivant
en mouvement
vers le vrai
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vérité
figée
vivant
en mouvement
vers le vrai

La ville que nul rayon ne saisit, n'enlace, ne réchauffe
laisse cependant circuler ses enfants pâles et dans ses rues
et dans la voie lactée - même s'ils ne savent pas
que toute artère a son double entre les étoiles
et si la terre se tait en chaque motte brune
c'est qu'elle n'a jamais cessé de parler
avec les langues des peuples vivants et des peuples morts
ainsi que quelques uns l'ont perçu, épelant
le vers grec ou russe - et ce n'est pas peu de choses non plus
que les lèvres qui épellent et le doigt qui suit le texte
soient faits d'argile ainsi qu'il a été dit.
Paul de ROUX, Le front contre la vitre, Gallimard, 1993

beau sexe
faible
deuxième
éternel second
avenir de l'homme

Écoute la flûte de roseau, écoute sa plainte
Des séparations, elle dit la complainte :
“Depuis que, de la roselière, on m’a coupée
En écoutant mes cris, hommes et femmes ont pleuré
Pour dire la douleur du désir sans fin
Il me faut des poitrines lacérées de chagrin
Ceux qui restent éloignés de leur origine
Attendent ardemment d’être enfin réunis
Moi, j’ai chanté ma plainte auprès de tous
Unie aux gens heureux, aux malheureux, à tous…"
Djalâl-ud-dîn RÛMÎ, Mathnawî, trad. L.Anvar, Entrelacs

Quand le corps tombe
dans ces forêts sans nord ni sommeil
où l'on perd pied
et se prolonge une nuit de douleurs mutiques
c'est déjà corps et âme
L'air se happe par suffocation
mais la noyade se refuse
qui délivrerait de cet errement
Au contraire il faut brasser ces sombres fourrés
aux mousses agrippées aux pierres
abstraire son corps et son âme
de cette antichambre
où le peu qui se discerne
n'évoque que rouille et marbre
où se perdent et le corps et l'âme

Bas
La nuit n'est pas finie que le merle parle un peu
comme dans un ravin, dans l'ombre, très bas :
petits crissements de noix dans le poing
quelque chose qui n'éveillera personne - la nuit
la nuit encore partout avec ses appels de sirènes lointaines
le merle de dessous le plancher, dans le noir :
cuisine à l'aube, corps gourds
préparatifs autour d'une cafetière, si les mots passent
c'est entre les lèvres qui se déclouent, sommeil
fatigue, aube froide, toutes sortes de feuilles
à lever pour trouver un ver.
Paul De ROUX, Le front contre la vitre, Gallimard, 1993

manivelle
à tourner
pour la musique
à danser
et le cycle
des saisons

Malgré les limites du cadre, un ange se tient dans toute la distance de sa verticalité transparente
son sourire invisible et silencieux, mais s'ouvre un dialogue voué à l'infini, des souvenirs comme des horizons
les voix sont égales de grâce et l'ange, sans plus de soupçon de vanité, se hisse à hauteur d'homme
et pour cela renonce à ses ailes qui vicieraient la réalité du monde, fausseraient la distance entre les âmes
Un effleurement perpétuel serait la douleur de l'ange, comme une voix étrangère qui parlerait par sa voix
en délivrant du haut vers le bas un message définitif sans les irisations incertaines du dialogue
Quelques mots de l'ange, glissés sur son regard d'azur et d'un geste économe, voilà sa distance
voilà la justesse de cordes et de vents qui semblent demander grâce et dont il est le gardien
quand, bien que toute de pétales, son empreinte demeure, et que personne ne songe à dire un ange passe
puisque toute gêne est à distance, le dialogue est d'or, et Dieu lui-même acquiesce à cette paix
Puis bientôt comme par vengeance, attribut éternel du fils d'Adam, le fardeau de la douleur s'abat sur l'ange
et l'on parle de chute, évoquant à la fois le fleuve qui se rompt et la fin ironique d'une histoire