Daniel BOULANGER a bien raison de qualifier ses poèmes de "retouches".
Car s'ils sont ordonnées comme un dictionnaire, le monde n'y est pas montré tel qu'il est fait, mais plutôt comme le poète la vu, puis le brosse.
Sur du vent - Page 322
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Des RETOUCHES à TOUT
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IL N'Y A PLUS DE SAISONS
...c'est bien connu, et ce fut (le passé simple montre que le fait est achevé) le refrain de l'été.
Le tout serait de savoir la portée de ce "plus": "plus de saisons" depuis quand?
La littérature nous met sur la voie, nous rappelant qu'il y a trois siècles, Mme de SEVIGNE s'en émouvait déjà.
Alors pour s'abstraire de ces lieux communs, avec APOLLINAIRE, voyons plutôt notre saison comme celle où des mains coupées jonchent le sol.
"Ce sont les mains de ceux qui sortent." -
Le BLUES d'ALFRED
Parfois le héros phagocyte,
tel Père Ubu,
l'écrivain, fût-il émérite,
cornes au cul!
Ce n'est pas un roi-Soleil
qui laisse ainsi la tombe de Jarry dans l'ombre. -
Underwood Blues
La machine à écrire vibre de promesses
pour l'apprenti-poète sensible à l'ivresse
Underwood est le lieu des épreuves
et de l'effroi -
CASSE-TÊTE FINNOIS!
On dit de l'écrivain finlandais Mika WALTARI qu'il souffrait d'une telle fureur d'écrire qu'il s'imposait à lui-même des cures de sevrage, soit en milieu hospitalier pour se désintoxiquer de sa graphomanie, soit dans le cadre de sa production littéraire, en se limitant à vingt pages quotidiennes.
Par crainte de sombrer dans les profondeurs de l'excès, il repectait cette auto-limitation jusqu'à laisser démembrés les mots qui tentaient de sauter la barrière.
Cette attitude évoque celle du joueur qui se fait interdire l'entrée des casinos de France... pour jouer davantage à Monaco. En effet, en dépit de ce régime, WALTARI a laissé une oeuvre d'un volume exceptionnel.
Peut-être s'agit-il pour cet usager de la langue finnoise, exclusivement orale jusqu'à lors, de lui faire acquérir en une seule vie d'écrivain tout l'héritage écrit lui faisant défaut. -
Le PLEIN de VIDE
Depuis quelques temps, grâce au dynamisme commercial de GAZ de FRANCE, on peut souscrire à l'offre "Dolce Vita".
Selon la plaquette du gazier, riche de photos de gens jeunes, beaux et aériens (et pieds nus, comme il se doit), il s'agit de bénéficier de solutions énergétiques au moyen - mais ce n'est pas dit - d'un raccordement de son foyer, en échange d'une redevance.
C'est donc très exactement ce qu'on appelait autrefois s'abonner au gaz.
Mais qui, mieux que GAZ de FRANCE, était à même de monter une telle usine à gaz langagière? -
CULTURE CULTIVEE
C'est le nom par lequel, dans des travaux de sociologie, on désigne la culture classique, non encore mâtinée de ses avatars modernes sous forme de rap ou de jeux video.
La culture cultivée serait grosso modo celle héritée de l'école de Jules FERRY, par opposition à une culture non cultivée (ou inculte?) qui serait spontanée, intuitive, et débitrice du passé dans la seule limite de la production audio-visuelle des vingt dernières années.
Peut-être vaudrait-il mieux dire "culture culturante", pour conserver le même jeu de nuances qu'avec les concepts déjà renommés de "nature naturante" et "nature naturée", la première étant la puissance rendant possible la seconde. -
Jean FOLLAIN, PEINTRE CHINOIS
La poésie de FOLLAIN agit comme sur ces longs rouleaux laissés par des siècles d'encres chinoises.
Ses personnages y sont à peine visibles, posés dans de vastes paysages où voisinent forêts, ruisseaux, montagnes, cultures...
Comme à vol d'oiseau, on y parcourt des étendues où l'on trouvera aux recoins des fermes des servantes nourrissant les poules, où des conscrits en divagation parmi les seigles.
Les personnages y mènent une existence incidente à tout le reste de la Création, et ne pèsent guère plus qu'une fleur; ils sont pour ainsi dire corollaires aux corolles...