Mais qui ne verrait que "ce qu'on appelle grossièrement le bonheur" n'est pas le bonheur tel que Breton l'entend, le bonheur qui ne saurait survivre au sacrifice de l'amour. Ce que Breton condamne c'est, comme il le dit, le pragmatisme, la recherche calculée et calculatrice d'un bonheur limité et prudent, demandant le renoncement au rêve et aux exigences essentielles du désir. C'est par souci de ce bonheur que la plupart des hommes consentent précisément à séparer la beauté de leur vie, à la tenir pour abstraite et formelle, à l'accrocher au mur pour la contempler le dimanche, en vivant, durant la semaine, la vie de tous et, comme le dit encore Breton, "la vie des chiens".
Ferdinand ALQUIÉ, Philosophie du surréalisme, Flammarion, 1955