expliquer avec des mots de ce monde
qu'un bâteau est parti de moi en m'emportant
Alejandra PIZARNIK, Œuvre poétique, Actes Sud, trad. Claude Couffon, 2005
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expliquer avec des mots de ce monde
qu'un bâteau est parti de moi en m'emportant
Alejandra PIZARNIK, Œuvre poétique, Actes Sud, trad. Claude Couffon, 2005
...
entre le temps de tes tempes et l'espace de ton esprit
entre la fronde de ton front et les pierres de tes paupières
entre le bas de tes bras et le haut de tes os
entre le do de ton dos et le la de ta langue
entre les raies de ta rétine et le riz de ton iris
entre le thé de ta tête et les verres de tes vertèbres
entre le vent de ton ventre et les nuages de ton nu
entre le nu de ta nuque et la vue de ta vulve
entre la scie de tes cils et le bois de tes doigts
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Gherasim LUCA, Héros-limite, Le soleil noir, 1953
Cette manie de me savoir un ange,
sans âge,
sans mort où me vivre,
sans piété pour mon nom
ni pour mes os qui pleurent à la dérive.
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Alejandra PIZARNIK, Œuvre poétique, Actes Sud, trad. Silvia Baron Supervielle, 2005
Monsieur le chef du gouvernement
Monsieur le chef du gouvernement,
je médite sur les sous-tasses,
sur l'arrangement des fleurs, sur la lumière des bougies parfumées,
sur les couteaux scintillants,
sur les nappes propres tendues sur la table
sur la glace à la pistache que vous aimez tant
(goût précieux et inconnu partout ailleurs)
sur le sorbet aux fruits de saison
qu'aime votre femme
fraises aujourd'hui, citron à l'été
la vanille pour les enfants.
Monsieur le chef du gouvernement,
vous devez être fier de votre pays
quand vous le regardez de vos yeux clos.
Oubliez toute trace de destruction et de feu
vouloir vivre sur le fil ce n'est pas contestable
rien à craindre de cela.
Et l'occupation est comme élémentaire
regardez comme sont belles les plantes grimpant sur le balcon
agrippées à la grille.
Et cela nous donne aussi une raison de nous tenir des années durant au carrefour
et chanter.
Monsieur le chef du gouvernement,
peu importe comme on passe
comme on se sent
comme on se bat
comme on chute, comme on prie
combien on nous promet de victoires par KO
comment on revient à la vie.
Quelqu’un a dit : le Mont du Temple est à nous
le Mont du Temple est à nous, toujours,
et un autre a répondu : beau travail, beau travail
(les armes silencieuses)
nous léguant le futur
nous laissant la tête dans le ciel
le corps dans des encoches, dans les fissures,
restant ainsi des années, des années.
Monsieur le chef du gouvernement,
salut
et quand vous quitterez votre résidence
enfilez un pull ou au moins nouez-le à votre cou.
Anat ZECHARIA, traduit de Lyrikline
D'instant en instant
D'instant en instant
Germe le temps qui me tisse
File le temps qui me traque
S'écourte le temps qui me fuit
D'instant en instant
Captif du temps qui s'élance
Je navigue
Sur les jeux du songe
Sur le flux du présent
Sur l'élan de l'âme
Sur les remous du cœur
D'instant en instant
Au rythme du temps qui nous modèle
Nos ombres se démènent
Sur la toile de la vie.
Andrée CHEDID, Poèmes pour un texte, Flammarion, 1991
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Elles montent dans les arbres. Pas par les branches, mais par la sève.
Le peu de forme qu'elles avaient, fatiguées à mort, elles vont la perdre dans les rameaux, dans les feuilles et les mousses et dans les pédoncules.
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Ensuite, elles descendent par les racines dans la terre amie, abondante en bien des choses, quand on sait la prendre.
Joie, joie qui envahit comme envahit la panique, joie comme sous une couverture.
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Henri MICHAUX, La vie dans les plis, Poésie-Gallimard, 1972
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Une guerre vient. Une guerre passe. Avant de passer elle se dépense beaucoup. Elle se dépense énormément. Il est donc naturel qu'elle écrase par-ci par-là quelques crânes. C'est ce que le trépané se dit. Il ne veut pas de pitié. Il voudrait seulement rentrer dans sa tête.
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Henri MICHAUX, La vie dans les plis, poésie-Gallimard, 1972
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Les cris s'arrêtent à cette frontière
plus de terre pour les maléfices
monde dégagé du monde
Sans mouvement, sans entreprise
à l'air on accède
intimement, profondément
Je manie l'arbre respirant, pulmonaire, élastique,
monture et j'en suis l'hôte et avec lui fais équipe
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Henri MICHAUX, Chemins cherchés Chemins perdus Transgressions, Gallimard, 1981