En général, le premier vers m'est donné, c'est le la du poème qui va suivre ou se perdre. C'est lui qui impose la tonalité du morceau, morceau que je ne quitterai qu'après le dernier coup d'archet.
Guy GOFETTE, dans Décharge n°143.
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Le MOULE à GOFETTE
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Nora BOSSONG FACE à son PÈRE
Derrière les montagnes
Derrière les montagnes
mon père chantait la chanson
du cygne mourant,
du moulin qui fait tic-tac,
et aussi de la mine.
Il avait sur la langue
l'haleine du buveur,
son coup de cil cliquetait comme
un verre d'eau-de-vie sur la pierre.
La mine, c'était sa bouche,
et le moulin faisait tic-tac
dans son larynx
et le cygne se mourait déjà
dans ses poumons.
Il aimait chanter, mon père.
Sa voix résonnait loin sur la plaine.
Nora BOSSONG, Décharge n°142, Trad. Rüdiger FISCHER).
Que ce soit par sa bonté, son haleine, son absence, sa rigueur, ses coups, un père marque toujours.
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Bernard BRETONNIÈRE : la POÉSIE n'EST PAS...
Décharge n°142 ouvre ses pages à Bernard BRETONNIÈRE, chargé de répondre à la question : « qu'est-ce que n'est pas la poésie ?». Retenons entre autres :
La poésie n'est pas un bouquet de poèmes de Prévert.
La poésie n'est pas propre, pas sage, pas cuite, pas bien élevée.
La poésie n'est pas une thérapie.
La poésie n'est pas les bonnes manières;
La poésie n'est pas sans risques.
La poésie n'est pas claire.
La poésie n'est pas un bagage léger.
La poésie n'est pas plus importante que la vie.
La poésie n'est pas de tout repos.
La poésie n'est pas une gymnastique universitaire.
La poésie n'est pas une pose.
La poésie n'est pas ce que je réussis à faire chaque jour à heure fixe.
L'exercice pousse chacun à poursuivre avec sa propre liste.
Allons-y :
La poésie n'est pas rien.
La poésie n'est pas tout.
La poésie n'est pas là pour faire joli.
La poésie n'est pas une façon de faire joli.
La poésie des autres n'est pas facile à pénétrer.
La poésie qu'on écrit n'est pas facile à extraire.
La poésie n'est pas une danse de salon.
La poésie n'est pas un métier par chez nous.
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Pentcho SLAVEÏKOV : un ART de l'ÉPITAPHE
Décharge n°142 présente le poète Bulgare Pentcho SLAVEÏKOV.
Entre autres, car l'homme était érudit et prolifique, il a publié des épitaphes, considérées comme des œuvres poétiques :
Ravaudeur, poivrot, sans enfant,
il s'appelait Stanyo Patience -
sa vie loqueteuse, c'est la mort
qui l'a reprisée proprement.
(trad. Denitza BANTCHEVA)
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Nora BOSSONG face au DINDON
DÉMÉNAGEMENT
Le dernier jour je fermai le gaz.
Je ne mangeai plus que du dindon froid,
cassai des deux mains les os sternaux
en forme de fronde, on dit que cela porte bonheur,
je fermai les yeux
et n'entendis plus que les craquements
des os refroidis qui,
si minces et poreux,
n'auraient pu rien protéger,
pas même le coeur
d'un dindon froid
cuit plusieurs jours avant.
Nora BOSSONG (Décharge n°142, trad. de l'allemand Rüdiger FISHER)
Ce peut être aussi le sentiment de qui quitte son lieu de vacances...
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Ma POMME
Décharge n°140 publie un inédit d'Isabelle GUIGOU, qu'un vieux cageot de pommes pousse à l'introspection:
Nous marchons sur la corde raide
Entre une enfance montée en graine et ces pommes fardées de mort
De mots nous traçons des entrelacs de routes
Embrouillons le temps, le roulons sur lui-même comme un vieux tapis
poussiéreux allez hop au grenier
Détournons nos vies de la chute.
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EMBRUN de VIE
Le revue DECHARGE, en son numéro 140, propose un important dossier sur Michel BAGLIN, où le poète insiste sur la parenté qui existe entre l'acte d'écrire et le fil de l'existence.
"Car c'est de l'autre côté du rideau que le monde est intense. Et, tu le sais, on ne se sent vraiment vivre que lorsqu'on cesse de bouger pour se mettre, là, à le représenter."
(extrait d'un inédit, "Embrun de Femme": merci DECHARGE!)
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CI-LIT PAPA
Mathias LAIR indique dans Décharge n°139 pourquoi longtemps il a évité d'écrire.
C'est qu'il y voyait « un signe de mort, lié peut-être au spectacle qu'affronte un jour ou l'autre le tout petit enfant: l'adulte est là, le plus souvent assis, devant lui, il s'est immobilisé. Il ne regarde plus rien, les yeux fixes, il ne parle plus. Quand on lui tire la manche, il s'anime un peu, pour protester: « laisse-moi, je lis! » Ça a l'air de lui convenir, cette allure de cadavre. Telle est la première association de l'écrit à la mort que j'ai sans doute faite, moi aussi. »
La page est un linceul blanc, où un souvenir repose.