Les lichens
Je marchais parmi les bosses d'une terre écurée, les haleines secrètes, les plantes sans mémoire. La montagne se levait, flacon empli d'ombre qu'étreignait par instant le geste de la soif. Ma trace, mon existence se perdaient. Ton visage glissait à reculons devant moi. Ce n'était qu'une tache à la recherche d'une abeille qui la ferait fleur et la dirait vivante. Nous allions nous séparer. Tu demeurerais sur le plâteau des arômes et je pénétrerais dans le jardin du vide. Là, sous la sauvegarde des rochers, dans laplénitude du vent, je demanderais à la nuit véritable de disposer de mon sommeil pour accroître ton bonheur. Et tous les fruits t'appartiendraient.
René CHAR, Les matinaux, Gallimard, 1950