Idéogrammes en Chine
À cette lumière toute page écrite, toute surface couverte de caractères, devient grouillante et regorgeante... pleine de choses, de vies, de tout ce qu'il y a au monde... au monde de la Chine
pleine de lunes, pleine de cœurs, pleine de portes
pleine d'hommes qui s'inclinent
qui se retirent, qui s'en veulent, qui font la paix
pleine d'obstacles
pleines de mains droites, de mains gauches
de mains qui s'étreignent, qui se répondent, qui se lient à jamais
pleine de mains face à face,
de mains sur leurs gardes, de mains occupées
pleine de matins
pleine de portes
pleine d'eau tombant goutte à goutte des nuages
pleine de bacs qui traversent d'une rive à l'autre
pleine de levées de terre
pleine de creusets
et d'arcs et de fugitifs
et pleines de calamités
et pleine de voleurs emportant sous le bras les objets volés
et pleine de convoitises
et pleine de mailles
pleine aussi de paroles sincères
et pleine de réunions
et pleine d'enfants nés coiffés
et pleine de trous dans la terre
et de nombrils dans le corps
et pleine de crânes
et pleine de fosses
et pleine d'oiseaux de passage,
et pleine de nouveaux-nés - que de nouveaux-nés ! -
et pleine de métaux dans les profondeurs du sol
et pleine de terres vierges
et de vapeurs qui montent des herbages et des marais
et pleine de dragons
pleine de démons errant dans la campagne
et pleine de tout ce qui existe dans l'univers
tel quel ou autrement assemblé
choisi à dessein par l'inventeur de signes pour être ensemble
scènes pour faire réfléchir
scènes de toute sorte
scènes pour offrir un sens, pour en offrir plusieurs,
pour les proposer à l'esprit
pour les laisser émaner
groupes pour résulter en idées
ou pour se résoudre en poésie.
Henri MICHAUX, in Ici on parle flamand et français, Le castor astral, 2005.