Pourquoi l'art est-il beau ? Parce qu'il est inutile. Pourquoi la vie est-elle si laide ? Parce qu'elle est un tissu de buts, de desseins et d'intentions. Tous ses chemins sont tracés pour aller d'un point à un autre. Je donnerais beaucoup pour un chemin conduisant d'un lieu d'où personne ne vient, vers un lieu où personne ne va. Que j'aimerais consacrer ma vie à la construction d'une route commençant en plein milieu d'un champ, et allant se perdre au beau milieu d'un autre ; une route qui, prolongée, aurait son utilité, mais qui resterait à jamais, sublime, une moitié de route.
Fernando PESSOA, Le livre de l'intranquillité, Trad. Fr.Laye, Bourgois, 1999