Un jour de 1903, en plein Paris, rue d'Amsterdam, Jules Romains fut chatouillé par une étrange sensation.
Il eut tout soudain l'intuition que la foule des passants, autour de lui, formait comme un gros animal, doué d'une grosse vie, dont chaque être, lui, nous, était une parcelle, un organe, un membre...
Ce fut le déclic, à l'origine d'un recueil de poésie intitulé "La Vie Unanime", dans lequel notre Jules déclina toutes les conséquences de cette révélation. Désormais, tout allait respirer l'"unanime", tout serait la manifestation de cette conscience selon laquelle la grande ville, le monde, et même les soldats au loin, vivaient au rythme univoque d'un coeur commun.
Mais Jules n'est pas un inspiré. La mystique n'est jamais venue le grattouiller, et la rue d'Amsterdam n'aura pas la postérité du chemin de Damas. Cette oeuvre reste sèche et un peu froide, avec tout de même pour qualité d'être dépouillée de l'enflure que l'époque et l'axiome de départ risquaient de susciter. Jules Romains recourt systématiquement à un vocabulaire simple et sobre. Mais sa versification, déjà centenaire, pèse sur l'estomac.
Un exemple toutefois:
J'ai jeté pour toujours mon rêve habituel
Comme un cigare usé dont le feu mord la bouche.
N'étant plus moi, je ne sens plus ce qui me touche;
Ma peau, c'est le trottoir de la rue et le ciel.
Ou encore:
Nous sommes indistincts; chacun de nous est mort;
et la vie unanime est notre sépulture.