Elle est bien désolante, cette pratique des internautes de transférer telles quelles les bonnes blagues reçues par messagerie.
Il ne s'agit pas de juger ici de la qualité d'un humour qui se propage à la vitesse du liseron, mais du comportement tristement passif qu'il induit. Ces messages sont en effet, la plupart du temps, transmis à la totalité de son carnet d'adresses, et sans que soit prise la peine de les débarasser de toute trace d'acheminement antérieur, et des inévitables fautes d'othographe ainsi pourvues d'une postérité bien imméritée.
La bonne blague (ou réputée telle) gagne un large et nouveau public, mais sans la moindre chance d'être un tant soit peu bonifiée, personnalisée à l'auditoire à qui on la destine. Elle va errer, transiter indéfiniment, comme le hollandais volant désespérant de son salut. Au lieu d'être une nouvelle histoire, renaissant perpétuellement de cour de récréation en repas de baptême, elle va se figer à jamais, puis pourir ou s'oxyder, comme une pomme délaissée, ou un produit quelconque de l'industrie.
Notre blague, décidément de moins en moins bonne, est ainsi l'héritière de la télévision, qui débite ses films au kilomètre, alors qu'elle devait, par nature, être la descendante de la veillée et du conte...